Page 6 - Extrait - Le journal d'une folle
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n’équivalait la reconnaissance des siens. La plupart de ses frères et sœurs avaient
envoyé une réponse positive à son invitation, l’assurant de leur présence, mais Heidy
n’avait eu aucune nouvelle de ses parents. Elle décida de leur faire une petite visite
personnelle.
La famille de Fanny et de Gerry s’était dispersée. Ils étaient maintenant tous les deux
seuls sur leur ferme. Une espèce de routine faite d’ennui et d’engourdissement s’était
installée entre eux. Ils n’étaient ni heureux, ni malheureux; ils n’étaient plus présents
tout simplement. Cette invitation de leur fille les avait plongés dans l’embarras. Avaient-
ils pardonné à Heidy? Le temps avait fait s’estomper graduellement leur grande peine
et ils n’avaient plus l’énergie de détester leur fille. Toute leur vie étant devenue grise et
terne, aucune émotion ne pouvait plus réveiller ces vieillards avant l’âge.
Lorsque Heidy arriva chez eux au bras de Robert, ce dimanche après-midi, leur
tranquillité d’esprit s’en trouva complètement bouleversée. Fanny et Gerry ne
reconnurent pas leur fille dans cette femme aussi belle que sur les photographies des
magazines. Mais la réputation de Robert était parvenue jusqu’à leurs oreilles et ils
avaient déjà estimé la valeur de sa fortune... L’accueil fut chaleureux : les parents
étaient fiers de la réussite de leur fille dont ils s’attribuaient un peu le mérite comme le
font tous les parents. Mais lorsque survint la question de leur présence aux noces, ils
devinrent très réticents : « Vous comprenez, nous sommes loin. Nous avons perdu
l’habitude de sortir. Nous nous faisons vieux, ajouta Gerry avec un sourire entendu. »
Ce qu’ils ne disaient pas et que Heidy comprenait très bien, c’était qu’ils n’avaient pas
les moyens financiers de défrayer le coût des vêtements nécessaires à une telle
cérémonie. Elle interrompit leurs lamentations et dit soudain : « Écoutez, maman, que
diriez-vous si je venais demain vous chercher pour vous amener choisir des vêtements
qu’il nous ferait plaisir de vous offrir, Robert et moi? »